Paolo Sorrentino fait partie de ces réalisateurs qui ne peuvent pas laisser indifférents. Haï par certains, qui trouvent son oeuvre suffisante, perpétuellement ironique. Adoré par d'autres, qui n'en peuvent plus de piaffer devant le talent (véritable) de l'auteur en terme de maîtrise formelle. Et si Youth était le film qui mettra tout le monde d'accord ?
Fred Ballinger (Michael Caine) et Mick Boyle (Harvey Keitel) sont deux vieux amis se rapprochant des quatre-vingts ans. Profitant tous les deux d'un repos, ou plutôt d'une remise en forme, dans un hôtel au pied des Alpes, les deux compères font face à ce qu'ils sont : des personnes âgées. Fred est un grand chef d'orchestre, désormais à la retraite, mais toujours assez reconnu pour attirer les convoitises de la Reine d'Angleterre. Mick, lui, est un réalisateur dans le déclin, qui profite du séjour pour finir, avec son équipe, le scénario d'un film qu'il qualifie de testamentaire. Autour d'eux, les âmes vivent sans se soucier du temps qui passe, ne faisant attention à rien d'autre qu'à la vie... et la jeunesse.
Youth aborde bien plus de sujets qu'on ne pourrait croire de prime abord. Evidemment, le sujet du rapport à la jeunesse, de la part d'être humains en pleine phase de pré-acceptation de leur vieillesse, est le plus important. Sorrentino, que certains disaient loin des préoccupations de ce monde (comme si leur cinéma actuel regorgeait de Pasolini et de Kurosawa !), prend tout le monde de court en s'emparant d'un des thèmes les plus universel que l'on puisse imaginer. Aidé d'un casting tout simplement impressionnant, le réalisateur italien s'amuse à décrire des situations tout de suite compréhensibles, sans passer par la case interprétation du formel. Un simple coup d'oeil de Mick sur un jeune qui traîne sur le même chemin que lui, et le spectateur ne peut que ressentir cette étrange impression, ce feeling profond qui ne se trouve pas dans la simple élaboration d'un scénario.
Tout est question de sentiments dans Youth, de ressenti, de bouffoneries, alors quand l'expression intervient, elle se fait violente, acerbe. Les deux personnages valident leur vieillesse par le biais de mots peu réjouissants, mais sans doute mérités. Les deux fois, ce sont des femmes qui s'en font les messagères. Lena (Rachel Weisz, qui confirme ici la bonne forme de sa carrière) tient un monologue inoubliable à Fred, son père. Quand à l'intercention de Brenda Morel (surprenante Jane Fonda), que Mick considère comme sa muse, elle st tellement pleine de bruit et de fureur qu'elle en vient même à dénoter.
Le rapport à l'âge est central dans Youth, qui construit le principal de ses gags sur ce sujet. Pour autant, ce n'est pas le seul thème abordé. Chaque personnage est l'occasion, pour Sorrentino, d'aborder une de ses préoccupations. Comme cet étrange Maradona, qui hante le film comme une petite fille dans l'hôtel Overlook. Ici, pas de hâche, pas de sang, pas de petites filles frêles, mais un énorme ex-footballeur, déambulant avec son appareillage de protection respiratoire et sa servante. L'apport de ce personnage n'est pas évident, même si l'un de ses gags peut faire rire aux éclats, en poussant à l'extrême l'image du footeux jongleur. Quand on y regarde de plus près, on se rend compte que Sorrentino distille à travers lui la dose de rêverie à la Fellini qu'il ne cesse d'essayer d'atteindre à chacun de ses films. Nous vous laissons découvrir toute les possibilités données par cet hôtel, les rencontres qu'il provoque, pour autant de choses à percevoir. Notamment un clone de Shia LaBeouf bien tordant...
D'autres personnages portent d'autres thématiques dans ce Youth décidément loin d'être creux. Véritable auberge espagnole, cet hôtel alpin est aussi l'occasion pour Paolo Sorrentino de laisser exploser sa virtuosité, ce talent que tant ne peuvent pas voir en peinture. On a tout lu dessus, que ce serait prétentieux, vide, creux, que le soin apporté aux images serait de l'autosatifaction. Evidemment, ces mêmes avis seraient tout aussi brutaux si le réalisateur s'était contenté de plan moyens, fixes et sans relief dans la mise en scène. Mais passons. Le film est un régal pour les yeux, multipliant les plans marquants à un rythme soutenu.
Au final, Youth est un film sur la mélancolie, l'acceptation de la vieillesse, mais aussi de la jeunesse qui nous échappe. Le temps passe, ce temps que chaque réalisateur voudrait sceller. En parlant du sujet des sujets, Sorrentino réussit à inverser la vapeur, et donne du fil à retordre à ses détracteurs. Car si les thèmes de Youth sont vulgaires, alors l'être humain l'est par nature.
Note : 8/10
The Duke