[Critique] Le Pont Des Espions : Le retour du dieu de la caméra dans un film au casting irréprochable

Malgré une dernière décennie qui aura vu ses films diviser le public, Steven Spielberg reste l'un des grands noms du septième art actuel. Ce constat se vérifie à l'approche de la sortie du Pont Des Espions, oeuvre pourtant moins sous le feu des projecteur du marketing que ses grands films d'aventure ou de science-fiction, et pourtant parmi les plus attendus de cette fin d'année. Surtout que le film est, mine de rien, guetté au tournant, avec les frères Coen au scénario, les retrouvailles entre le réalisateur d'Indiana Jones et Tom Hanks... Bref, on se demandait si Le Pont Des Espions allait être le retour d'un tonton Spielby indiscutable.

Les premières minutes du film sont intéressantes et, comme souvent, détiennent énormément de clés de compréhension, qu'elles soient en rapport avec l'intrigue, ou avec l'oeuvre en elle-même. La mise en scène nous explose au visage. Il faudra, dorénavant, être d'une mauvaise foi sans failles pour douter de la maîtrise absolu de Spielberg, son génie de la caméra, pour paraphraser Sergio Leone. Dès le premier plan, le metteur en scène nous parle, nous conte une histoire. A l'image des premiers instants de La Liste De Schindler, l'ouverture du Pont Des Espions contient tout ce qui fait de James Donovan (Tom Hanks) l'un des personnages les plus aboutis de l'oeuvre "spielbergienne". L'homme fait face à son reflet, mais aussi à son portrait idéalisé, dans un cadre parmi les plus beaux de la carrière du bonhomme. Assez parlant pour qu'on comprenne de suite où il veut en venir.

Le Pont des Espions relate d'événements sous tension, en plein début d'une guerre froide dont on peut légitimement se demander si nous en sommes réellement sortis aujourd'hui. L'intrigue du film prend appui sur un fait réel, s'intéresse au destin assez incroyable de James Donovan, avocat spécialisé dans les magouilles à l'assurance, et qui se voit confier la défense de Rudolf Abel (Mark Rylance), prétendu espion russe et, l'espace de quelques mois, ennemi public numéro 1. Ce destin est, donc, très lié à la première image du film. Voilà pourquoi Spielberg s'est emparé de ce scénario, pour comparer, grâce à une figure exemplaire, le réel et le fantasme. Tout Le Pont Des Espions parle de cette Amérique au double visage, très libertaire et libérale en apparence, mais surtout prompte à terrasser qui ne lui ressemble pas. On peut aussi relever ce superbe raccord, qui lie des enfants, en classe, célébrant le drapeau américain, et une explosion atomique. Comme un rappel qui ne doit jamais quitter nos esprits : si nous avons très peur de "l'autre", ici du communiste, n'oublions pas que l'une des pires décisions de l'humanité fût de raser deux villes, remplies de civils, à Hiroshima et Nagasaki. Et cette catastrophe, Spielberg demande à ce que l4amérique, et ses alliés, la regarde en face.

Le symbolisme, la réalisation, on ajoute à ces grandes réussites une interprétation sans reproches (Tom Hanks évidemment, mais aussi le très bon Mark Rylance), une reconstitution qui vous fera chavirer et une lumière sidérante. Le travail de Janusz Kaminski atteint là des cimes vertigineuses, qu'on peut aussi appeler le Panthéon des chefs opérateur. Qu'en est-il du scénario, ce qui fait s'enchaîner les péripéties, ce qui donne le ton ? Il faut savoir que Spielberg travaille là sur un scénar' des frères Coen. Donc, nous savons à quoi nous en tenir, surtout en terme d'humour plus ou moins noir. Est à regretter une moitié de métrage qui fait difficilement la jonction entre le procès de Rudolf Abel, et l'épopée de James Donovan vers l'Est. On sent que le réalisateur n'est pas des plus à l'aise en terme de narration. Notamment dans le traitement de ce qui est, pourtant, l'un des gros morceaux de bravoure du Pont Des Espions : une séquence en avion hallucinante, et peut-être seule véritable réussite en terme de tension (décidément, avec celle de La Bataille de la Montagne du Tigre, la mode est aux séquences en avion). Si nous n'avons rien à reprocher à cet instant incroyable, à vivre dans une salle obscure, son utilité dans le récit est clairement incertaine. Comme si Spielberg s'emparait d'une petite ligne de scénario pour en faire une séquence de grand spectacle qui, il faut bien le dire, manque un peu quand on se retourne vers l'intégralité de l'oeuvre.

Au final, Le Pont Des Espions est une énorme réussite dans tout ce qui est de l'ordre du ressenti dû à l'image. En fait, ce qui est purement cinématographique, dans cette oeuvre, atteint un niveau que nous n'avons que trop rarement vu en cette année 2015. On pourra regretter un manque de tension, peut-être trop de recours à un humour typique des frères Coen, que l'on a du mal à approuver quand il se manifeste, par exemple, en plein dans un final pourtant solide. Reste que Le Pont Des Espions relève le niveau de la carrière récente de Spielberg, et prouve que le génie est toujours là. Vivement le prochain !

Note : 8/10

The Duke

Ils jouent dans Le Pont des Espions Le Pont des Espions

Commentaires

Pseudo

Actualités à propos de Le Pont des Espions