Entrevue - L’enfant qui Mesurait le Monde

Nicolas Leprêtre
Mardi 2 juillet 2024 - 15:07
10 eme edition festival La Baule

Dossier : Festivals

Interview autour du film L’enfant qui Mesurait le Monde avec le réalisateur Takis Candilis et le compositeur Cyril Morin

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Sur l'île de Kalamaki en Grèce, Yannis, un jeune enfant autiste, rythme ses journées en mesurant l'ordre du monde : les bateaux qui accostent, les prises des pêcheurs, le va-et-vient des clients du café. L'arrivée inattendue de son grand-père, Alexandre Varda, homme d'affaires de renom qu'il n'a jamais rencontré, va perturber l'équilibre fragile de son quotidien. Malgré leurs différences apparentes, une relation profonde et bouleversante se tisse entre ce grand-père distant et ce petit-fils aux talents singuliers.

Un film de Takis Candilis. Avec Bernard Campan, Raphael Brottier, Maria Apostolakea. Musique de Cyril Morin.

C’est votre second film. Qu’est-ce qui déclenche votre processus créatif ?

Je n’ai pas aimé mon premier film après l’avoir vu à Cannes et j’ai décidé d’arrêté la réalisation à ce moment là. J’ai fait de la télévision pendant 40 ans suite à ça. C’est après avoir lu le livre que j’ai eu envie de faire le film, car j’y ai trouvé des raisons personnelles de me relancer dans la réalisation.
Beaucoup de sujets qui sont abordés dans le film me sont propre ou me correspondent : celui de la recherche des origines, de la non communication entre un père et ses enfants, l’architecture - j’ai fait des études d’architecture et j’ai un père architecte. C’est tout cela qui a été déclencheur.

Ce film est comme une tentative de réconcilier l’humain avec la Nature, avec la foi, avec des valeurs qui autrefois nous étaient plus proches, plus précieuses. Vous avez également envie que les gens se parlent et s’écoutent davantage. Dites m’en plus.

Il y a effectivement plusieurs thèmes qui se croisent. Le personnage est en résilience, il va de l’ombre à la lumière avec beaucoup d’éléments qui le portent, notamment la musique. Par exemple, il se réveille par la musique lors de cette scène où il arrive chez le professeur et où il y a ce chant historique en Grèce, le Rebetiko, qui est le chant des Grecs chassés de Turquie, et ce chant résonne en lui.

Les personnages eux-mêmes sont des symboles. Le professeur symbolise la culture, la préservation des valeurs de l’antiquité. Le Pope représente ce qui concerne la foi et l’âme. Ces deux personnages permettent à Alexandre (Bernard Campan) d’aller plus loin en lui-même, d’aller à la rencontre de son petit-fils et surtout, de se découvrir lui même.

C'est un film avec de multiples symboles. Certains vont être touchés par le petit garçon et son syndrome autistique, d’autres par cet homme à la recherche de ses origines, ou encore par les problèmes économiques de l’île... J’ai tâché de traiter tous ces sujets de manière qu’il n’y en ai pas un qui efface ou étouffe les autres.

Comment avec-vous travaillé le personnage de Yannis ? Il y a quelque chose de très grave, de très sérieux chez lui, il est comme un “homme-enfant” et il est même qualifié “d’agneau de Dieu”...

Il se trouve que sur l’île où nous avons tourné, il y a un personnage un peu comme lui, qui s’appelle Stefano, et qui est la “mascotte” de l’île. Il est handicapé et vit sur cette île où il vend des maïs grillés. Tout le monde vient acheter son maïs à Stefano. Il est le ciment de l’île.
Le personnage de Yannis est comme ça quelque part, il mesure le monde, regarde tout autour de lui si les choses bougent, changent. Il a très peur des changements, des bouleversements, ce que ne comprend pas son grand-père au début mais le comprend peu à peu en s’ouvrant à cet équilibre du monde, à cette “divine harmonie”.

Pour faire passer ces idées, il faut une mise en scène simple, proche des comédiens, très calme. Je pensais que l’émotion passerait avant tout par le jeu des comédiens, la vérité qu’ils allaient transmettre. Et puis il y a les sons et la musique de l’île tout autour. Et notamment certaines musiques que Cyril a composées. Il y a aussi cette voix qui apparaît ou n’apparaît pas, comme un echo. J’ai donc essayé de composer entre la photo, la manière de filmer et le jeu des comédiens pour être le plus sincère et le moins étouffant possible.

CYRIL : La voix, c’est une réminiscence de la mère absente. Pour moi il était évident de la faire exister dans le film. J’ai travaillé sur beaucoup de films à travers le monde et je ne suis pas quelqu’un qui ressent avoir des racines, être “de quelque part”.

Sur le film Samasara par exemple, il y avait une couleur assez spirituelle. Pendant plusieurs années j’ai fait beaucoup de films qui étaient basés soit sur une cause, soit sur une valeur spirituelle. Cette valeur spirituelle dans la musique se retrouve dans le film d’une façon sous jacente. Il y a un côté assez zen où les problèmes ne sont pas résolus dans une forme de violence mais sont résolus dans une forme de libération.

TAKIS : Il y a ce personnage important qui est le personnage du Pope, interprété par Metin Arditi, l’auteur du livre, qui voulait à tout prix jouer ce personnage. Le Pope n’est pas religieux, il est spirituel. En Grèce, notamment dans les îles, le personnage du Pope est celui qui cimente la communauté. Il ne la cimente pas parce qu’il prêche la religion, il la cimente parce qu’il élève la conscience des Hommes.

Le professeur et le Pope ne questionnent pas le personnage de Alexandre Varda, ils l’aident à passer. Ils ne lui imposent pas une vision, ils lui ouvrent les yeux pour qu’il traverse le passage. Ils sont comme des guides, avec leurs valeurs respectives. La culture d’un côté et la foi et la sagesse de l’autre.

La fin du film est aussi très symbolique. Primo, la Pâque Orthodoxe, qui est la plus grande fête du pays (Christ est ressuscité) et où l’on se donne la lumière les uns les autres, où chacun éclaire l’autre et où à la fin, toute la scène est éclairée. Secondo, la scène de fin où Yannis fini par savoir nager seul, puisque dans la Chrétienté, le Baptême se fait sous l’eau et qu’il faut savoir nager pour ressortir de l’eau.

Comment avez-vous fait pour créer la musique du film, quel est votre processus créatif en général ?

CYRIL : Ce qui est très important, ce sont les conversations que l’on a en préparant le film, en amont. C'est là que les choses apparaissent. Ce qui est bien, c’est de recevoir toute cette nourriture en parlant du film, ce qui évoque très vite quelque chose. Pour ce film, c’est allé très vite.

TAKIS : Cyril avait des morceaux de musique qu’il m’a fait entendre et on y était presque. Après, on a fait des choix puis il les a retravaillés mais les morceaux étaient déjà dans la musicalité du film.

CYRIL : Il fallait un thème. Et le thème qu’on entend tout au long du film, c’est le thème que j’ai créé sur le scénario et en discutant avec Takis. Ce thème était primordial, il fallait quelque chose qui entraîne le spectateur pendant tout le film. Il y a aussi un thème pour Yannis qui est basé sur les mathématiques et où il y a des séquences avec des choses manquantes. Le thème de Yannis commence et s’arrête. C'est une musique discontinue, fragmentée. Elle se casse car il n’a pas encore toute sa structure.

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