Entrevue - Le Roman de Jim

Entrevue réalisée par notre envoyée spéciale Silène avec Arnaud et Jean-Marie Larrieu pour le nouveau film Le Roman de Jim, adapté du roman du même nom de Pierric Bailly.

Arnaud et Jean-Marie : L’écrivain avait l’intuition que nous devions adapter son roman en film. Pourtant, dans le roman, il y a un aspect réaliste dans lequel on ne va pas d’habitude, mais on s’est dit qu’on était peut-être “mûrs” pour y aller et garder l’émotion, dans un cadre toutefois plus réaliste.
Ce qu’on aime, c’est le thème d’un père qui ne se sent pas légitime à l’être et même je dirais, quelqu’un de masculin qui ne se sent pas légitime à plein d’endroits. Le personnage ne se pose jamais la question de la légitimité. Le légitime, les règles officielles, il n’en veut pas, son rapport avec son fils, Jim, lui suffit. C’est comme s’il avait l’impression que les rapports officiels pouvaient détruire les vrais rapports qu’il entretient avec l’enfant, à savoir l’amour et les sentiments qu’il a pour Jim. C’est le rapport innocent aux choses qu’entretient Aymeric (Karim Leklou).
La situation lui échappe alors complètement et la réalité revient au galop. Aymeric ne remet pas en cause le projet de Florence (Laetitia Dosch), pas plus que le mensonge qu’elle va raconter à Jim comme quoi Aymeric a décidé de refaire sa vie sans lui...
Laetitia le défend très bien. Quand elle raconte à Aymeric ce qui s’est passé au Canada, elle a vraiment eu peur pour Jim car il allait très mal. Elle se dit que c’est peut-être alors la bonne solution de dire que Aymeric ne veut plus le voir, alors elle tente ça. À chaque fois, on tenait à ce que ça soit compréhensible et possible. Que l’on se dise, “Oui, elle a peut-être raison”. Florence n'est pas dans le calcul et la préméditation. Que les situations deviennent cruelles et douloureuses, c'est le côté mélodramatique de l’histoire, mais ce ne sont pas des personnes qui veulent calculer ou manipuler.
Aymeric de son côté, est intérimaire quasi par choix (dans sa vie professionnelle aussi bien que personnelle). C'est quelqu’un qui semble avoir un problème avec l’engagement. Le seul engagement fort qu’il a dans sa vie est avec cet enfant. Et encore, quand on lui dit qu’on ne veut plus de lui, il ne se sent pas de traverser l’Atlantique pour aller le retrouver.
Tout au long du film, c’est la vie qui rattrape le temps, le temps qui rattrape la vie. On a Aymeric qui veut agir mais qui en est incapable, plus le temps passe, moins il peut agir...
C'est plus de l’ordre du tragique et moins de l’impuissance. Les personnages ont un destin et ils ont beau essayer de le contredire, il est en route. Mais il est vrai que les adultes n’ont pas mesuré le point de vue de l’enfant. D’ailleurs, Jim met du temps à le formuler. Son retour est ambigu. Il veut revenir et en même temps, il n’a pas envie. Quand on nous demande pourquoi la scène entre Jim et Aymeric lors de la Via ferrata, on se dit "Quel est le pire endroit pour se parler ?” C’est la Via ferreta. Quand Jim propose donc à Aymeric d’en faire une, cela signifie qu’il n’a pas tant envie que ça de parler. Il ne veut pas entendre d’excuses, le mal est fait.
J’ai trouvé que Florence est une femme forte qui ne prend pas ses décisions en fonction de la famille, elle n’aime plus cet homme, elle décide de le quitter. C'est une femme indépendante.
Aymeric n’aurait pas beaucoup avancé sans son rapport à ces trois femmes : Florence, Olivia, sa soeur. Son histoire se tisse le long de ses rapports avec ces femmes. Florence est “rock”, elle quitte sa famille à 17 ans, elle roule pendant 10 ans ce qui n’était pas facile, puis elle reprend des études... Dans le roman, c’est très clair qu’elle ne veut pas passer sa vie dans la montagne avec des vaches.
Ne questionnez vous pas la vérité ? N’est-ce pas ce qui manque le plus à cet enfant dans cette histoire ?
Les personnages essaient de se formuler les vérités mais ce n’est pas si simple. Florence formule les choses, Aymeric aussi. Ils essaient de se parler mais avec difficulté. Il y a un mensonge dans le film, celui de Florence, qui ment pour le bien de Jim, une sorte de stratégie. Quelques années plus tard, elle vient néanmoins apporter la vérité sur ce mensonge qu’elle a conçu pour tenter de sauver Jim.
Votre rapport à la paternité avant de lire ce roman, faire ce film ?
Je pense que tout père adopte ses enfants. Naturels ou non. Rien n’est acquis. Il y a un rapport d’adoption. Même aujourd’hui, et on commence à en parler, ce n’est pas forcément évident pour les mères car certaines femmes disent ne pas avoir cet instinct maternel. Peut-être que tous les parents à un moment donné doivent adopter leur enfant. Comme une espèce de “faire connaissance” avec un être qui n’est pas eux, qui est autre.
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Interview autour du film avec le compositeur Shane Copin.
Quel a été le processus de création de la musique du film puisqu’il est inspiré d’un roman? T’es-tu appuyé plutôt sur le roman ou le scénario pour composer la musique ?
J’ai lu le roman au moment où j’ai découvert le film. Jean-Marie me disait que la musique électronique était particulièrement importante pour lui. C’est rentré quelque part dans ma tête et je me suis mis à la place des personnes qui écoutent de la techno et je me suis dit “C’est une musique de film, un public différent, mais il faut respecter le style parce que c’est une véritable communauté [la communauté techno].”
Tu dirais que ce sont donc plutôt les goûts des réalisateurs qui t’ont influencé que le roman en lui- même?
C’est vraiment un tout!
Tu saurais expliquer le pouvoir de la musique sur l’image ?
Pour moi, la musique et le son apportent la sensation. Le cinéma, c'est de l’image et du son. Il y a la dramaturgie qui permet de rentrer dans l’histoire, les acteurs qui permettent d’incarner les personnages et de nous transmettre une émotion... Le son et la musique ne sont pas palpables, ils font appel à nos sens... Quand c’est bien dosé et enchaîné, ça produit des effets qu’on ne peut pas expliquer et qui fait que le cinéma est magique.
Comment fais-tu en sorte que l’image et la musique se complètent ? Comment les fais-tu se rencontrer, coexister ?
Je pense qu’il y a une part instinctive. J’ai toujours été sensible à la musique dans le cinéma. C'est la première chose à laquelle je fais attention. Même le silence avant ou après la musique participe à la partition.
Comment as-tu composé les thèmes relatifs à Jim ?
J’ai composé en premier la musique où Aymeric (Karim Leklou) retrouve Jim (Andranic Manet).
Pour moi, à ce moment là du film, le temps s’arrête. Ce sont ces accords que j’ai composés en premier. Ils donnent le ton de tout ce que j’ai composé sur le film. J’ai l’impression que tout le reste de la musique du film est fait pour habiller ce moment là précisément car il s’y passe tellement de choses. C'est comme si le temps roulait sur les personnages et que le moment où ils sont réunis est le moment où tous les barrages pètent. C’est après qu’on peut se dire "je t’aime”. On ne rattrapera pas le temps, mais ce qu’il nous reste on peut le partager ensemble.
À un moment, la musique du côté de Karim est comme un battement de coeur accéléré car il y a la peur de tout dire puis la musique ralentit, il y a presque un vide, une attente de la réaction de son fils...
En fond, il y a aussi une voix qui arrive au moment où ils discutent et qui dit “On ne sera plus jamais les mêmes” en boucle. J’adore ce petit hasard.
À quel point la musique a-t-elle guidée les acteurs ?
Ce sont plutôt eux qui m’ont guidé, car quand j’arrive, le film est déjà là ! En fait, le métier de compositeur, c’est chercher à comprendre ce qu’il se passe à l’image, les intentions du réalisateur.
C'est un travail rythmique avant tout : on voir des corps qui bougent devant nous et on essaie de les épouser avec le rythme et on construit autour de ça.